Chapitre 2 – Aux origines du mot « Ok »

– « Je ne comprends rien à ce que tu me racontes ! », hurlai-je à Rémi, désespérée, tandis que je le rejoignais à l’une des tables qu’il occupait dans le centre des rhétos. « Tes messages codés sont juste impossible à décrypter. La jeune apprentie que je suis semble encore avoir besoin d’acquérir de l’expérience pour comprendre ce que vous tentez vainement de lui faire percuter, cher Monsieur. Vous m’en voyez navrée. Aussi vous saurait-elle gré de bien vouloir recourir à des énigmes d’un niveau moins complexe ou, mieux encore, de lui communiquer, de but en blanc, le contenu que vous l’avez enjointe à découvrir par elle-même. » ajoutais-je, avec humour.

Rémi était avachi sur l’une des nombreuses chaises qui habillaient le centre. En me voyant arriver, mon téléphone à la main et le regard suppliant, il me dévisagea un instant, l’air malicieux. Un sourire narquois – que je soupçonnais être de mauvais augure – se dessina sur ses lèvres, qu’il finit par entrouvrir :

– « Certes », dit-il en se frottant le menton. « En tant que maitre, je ne puis sciemment laisser une jeune apprentie aussi délicieuse dans un tel embarras. Si vous le permettez, je vais de ce pas m’appliquer à mettre un terme à vos souffrances. Pour ce faire, néanmoins, il me faut procéder à la seconde étape de votre apprentissage. Si vous voulez bien me faire l’honneur… »

Il tira la chaise qui se trouvait à sa droite à l’aide de son pied et m’invita à y prendre place, d’un geste de la main. Je levai les yeux au ciel. Que pouvait-il encore bien mijoter ? Bien que son regard taquin me fit hésiter, je finis par m’exécuter et me retrouver assise, face à lui.

– « Leslie et Eloise ne sont pas là ? », lui demandai-je, alors que je dévissais le bouchon de ma bouteille d’eau.

– « Nope. », me répondit-il, avant d’ajouter, « Elles sont allées aux toilettes. Je ne comprendrais jamais cette manie que vous avez, vous les filles, d’aller toujours aux toilettes par deux. Mais soit. Elles ont également parlé d’aller faire un tour dehors. Ce qui veut dire… »

Il laissa sa dernière phrase en suspens, posa ses mains de part et d’autre du siège qu’il m’avait désigné plus tôt et se pencha vers moi : « … qu’il ne reste que toi et moi. », murmura-t-il, en plantant ses prunelles dans les miennes.

Stupéfaite par l’audace de ses propos, je tressaillis et manquai d’avaler une gorgée de travers. Tentant tant bien que mal de me redonner une contenance, je reposai ma bouteille sur la table et le fixai, interdite. Au terme de quelques secondes, qu’il employa à scruter mes diverses réactions, Rémi se redressa et se racla la gorge. « Bref. », fit-il, comme pour couper court au léger malaise qu’il venait de créer vraisemblablement malgré lui, « Revenons à nos moutons ! »

Je le considérai, l’air interrogateur. « Nous parlions de la suite de votre apprentissage, jeune demoiselle ! » s’exclama-t-il alors, « Tâche de suivre un peu ! », ajouta-t-il, avant de m’adresser un clin d’oeil. « Celle-ci fera appel à des connaissances qui remontent à la nuit des temps. J’espère vivement que tu sauras t’en montrer digne. Chère apprentie, que peux-tu me dire sur le Tokaytokay ? Sois concise, je te prie. »

J’étouffai un rictus. Décidément, il n’en manquait vraiment pas une ! Mais comment résister à ce regard enjoué qu’il venait de poser sur moi ? Bien. Je décidai de me prêter à son jeu. Après tout, si je n’avais pas commencer à m’adresser à lui de la sorte, je ne me serai sans doute pas retrouver dans pareille situation. J’imaginai qu’il me fallait donc en assumer les conséquences.

– « Le Tokaytokay, avez-vous dit ? », répétai-je, afin de m’assurer ne pas m’être trompée sur le sujet qu’il m’avait incitée à développer.

– « C’est bien cela, jeune apprentie. Tu ne t’es pas méprise.

– « Fort bien. En ce cas, ainsi que vous m’y avez conviée, je vais vous relater l’histoire du Tokaytokay. » Et de reprendre : « Le Tokaytokay est un oiseau exotique dont la réputation n’est plus à faire. D’après les dires des quelques rares personnes qui auraient un jour eu l’immense privilège de l’apercevoir, ce volatile, d’une rareté légendaire, aurait élu domicile sur une ile encore non répertoriée à ce jour. En réalité, cette dernière aurait la faculté de se soustraire aux yeux de tous et de se mouvoir à l’infini. Aussi est-ce précisément la raison pour laquelle il n’a jamais été possible d’inscrire sa position exacte sur une carte. Il va de soi que cette ile ne se déplace pas de son propre chef. Ce serait, à ce qu’il parait, l’oiseau qui l’habite – ou, plutôt, qui la gouverne – qui serait l’indéniable responsable de ses déplacements intempestifs. En effet, il posséderait le pouvoir de la diriger par la simple force de sa pensée… »

Je m’arrêtai un instant et lorgnai vers Rémi, qui me fixait ahuri. Ses grands yeux bleu azur me sondaient avec une telle intensité que j’ignorais si j’étais allée trop loin dans mon délire ou s’il me fallait poursuivre.

Je profitai de son bref moment d’hébétement pour balayer furtivement le centre du regard. Nous étions une quinzaine, à tout casser. Comme il faisait beau, la grande majorité des étudiants avait décidé de passer leur temps de midi à l’extérieur, sous le soleil. Je me demandai alors si Leslie et Eloise allaient bientôt rentrer de leur petite promenade… D’un côté, je me serais sentie soulagée de les voir rappliquer. En effet, j’étais encore perturbée par l’attitude que Rémi avait adoptée lorsque je lui avais demandé où elles étaient passées. Rien qu’en y repensant, je sentis mon coeur se serrer. Mais d’un autre, je n’aurais souhaité que ce moment ne s’achève pour rien au monde.

Mon attention se porta de nouveau sur Rémi, qui se mit à soupirer et à secouer la tête de droite à gauche avec nonchalance, comme s’il était désappointé :

– Que me chantes-tu là ? Tu me déçois grandement. Je commence à entrevoir la nature de ce qui a obscurci ta capacité à voir au-delà des mots que j’ai formulés jadis à ton attention. Aussi, de sorte que tu puisses enfin en déceler les secrets, lesquels sont gardés depuis moult générations de « moi », un peuple très distingué, cela va sans dire, vais-je te relater la véritable histoire du Tokaytokay… »

– « T’es vraiment irrécupérable ! », lui fis-je remarquer, à moitié amusée et à moitié désespérée.

Il posa alors sur moi l’un de ces regards à la fois larmoyants et gonflés d’espoir. Je capitulai. Qu’allais-je bien pouvoir faire de lui ?

– « Il va de soi qu’au grand jamais la pauvre disciple que je suis ne se serait permise de remettre la distinction de votre peuple, exclusivement constitué de réplicas de votre propre entité, en cause… », répondis-je finalement, avec ironie.

Rémi esquissa un sourire triomphant, puis adopta de nouveau ce petit air suffisant qui lui seyait si bien, dès lors qu’il s’essayait à ce genre de rôles.

– « Fort bien. », conclut-il. « Je constate avec enchantement que ta soumission m’est totale. »

Feignant l’offuscation, je lui donnai un vif coup de pied dans le mollet, en signe de protestation. L’air hautain qu’il avait affiché s’effaça brusquement. Et les différents traits de son visage s’étirèrent. Rémi devint hilare.

Après avoir essuyé une larme qui avait perlé au coin de son oeil, tant les spasmes l’avaient secoué, il reprit, quoique non sans quelque difficulté :

– « L’histoire qui nous intéresse remonte à des temps immémoriaux. A cette époque, le Tokaytokay n’était encore qu’un misérable oiseau, assailli de toute part tant sa chair était savoureuse. Effectivement, toutes les espèces vivantes, quelles qu’elles furent, s’organisaient régulièrement entre elles pour le traquer jusqu’à n’en plus pouvoir. Une seule règle régissait leur chasse : d’aucuns n’étaient en droit de rentrer au bercail sans avoir préalablement capturé et mis à mort un Tokaytokay… »

– « M’en veux pas, mais ton histoire ressemble fort à celle du Dodo… », m’enquis-je de lui faire remarquer.

– « T’ai-je octroyé l’autorisation de m’interrompre dans mon récit, jeune apprentie ? Ou devrais-je m’atteler à te rappeler qui est le maitre, ici ?! », me questionna-t-il vivement, en réaction à ma précédente remarque.

L’envie de le taquiner me saisit, jusqu’à devenir irrésistible. Je le scrutai, tout en me pinçant les lèvres. La tentation devenant trop forte, je finis par céder. J’adoptai alors une moue espiègle et esquissai un léger sourire en coin, qui se voulait coquin.

– « Et… Si tel devait être le cas, repris-je, comment vous y prendriez-vous… maitre ? », l’interrogeai-je, sur un ton qui se voulait riche de sous-entendus.

Rémi devint écarlate et demeura pantois quelques instants. De toute évidence, mon performance avait eu l’effet escompté. Je dus reconnaitre en éprouver une certaine fierté. « C’est ce que l’on appelle se faire prendre à son propre jeu ! », songeai-je.

Rémi ravala sa salive et, après avoir fui mon regard un bref instant, que je soutins néanmoins, ne me lâcha plus des yeux sitôt qu’il les eut de nouveau posé sur moi.

– « Je ne puis ainsi révéler mes secrets à une aussi jeune apprentie. Pour découvrir quel serait ton châtiment pour pareil crime, il te faudrait donc te parjurer une nouvelle fois. La question suivante se pose donc : as-tu encore pour ambition de faire preuve d’insolence envers ton très vénéré maitre ou puis-je reprendre ton enseignement là où y as si brusquement mis un terme ? »

Je fronçai les sourcils. Rémi avait indéniablement retrouvé de sa prestance. Mais je ne m’avouai pas vaincue pour autant. Aussi entrepris-je de pousser le jeu un peu plus loin. A cette fin, je me fis doucement glisser jusqu’au bord de ma chaise, de telle sorte que nos genoux se frôlent, et et le provoquai :

– « Si je ne m’abuse, votre autorité en tant que maitre a déjà été remise en cause. N’auriez-vous donc pas déjà dû faire montre de votre courroux et me houspiller, ainsi que vous vous targuez d’être en mesure et en droit de le faire ? Ou peut-être mon maitre aurait-il prononcé des paroles vides de sens, auquel cas… »

– « Auquel cas… ? », répéta-t-il doucement, d’une voix grave.

– « Auquel cas cas… », repris-je, littéralement perdue dans ses iris qui, à ce moment précis, brillaient d’une lueur que je ne sus décrire.

Venais-je réellement, à l’instant, de tomber dans mon propre piège ? La sonnerie annonçant la fin de notre pause midi m’arracha à mes pensées, de même que les voix de Leslie et Eloïse qui, très vite, se matérialisèrent à nos côtés. Il ne nous fallut que quelques secondes à peine pour nous écarter l’un de l’autre. Tous deux avions les joues en feu, comme si nous venions de nous faire surprendre en train de nous livrer à quelque activité interdite.

Rémi se racla la gorge, me fit un signe de tête et ne s’attarda pas. J’échangeai quelques mots avec mes deux autres comparses, puis repris la direction de ma classe. Avant de pénétrer dans celle que je partageais avec Eloise, je ne peux m’empêcher de me retourner vers celle dans laquelle Rémi s’apprêtait à s’engouffrer. Celui-ci en avait vraisemblablement fait autant, car il me fit aussitôt un signe de la main. Avais-je rêvé ou venait-il, une fois encore, de piquer un fard ?

***

– « Et donc, en fin de compte, qu’est-il arrivé à tous ces Tokaytokays qui se faisaient pourchasser ? », demandai-je à Rémi, pendant notre heure de fourche commune de l’après-midi.

– « Dois-je en conclure que tu désires poursuivre ta formation en ces moment et lieu précis, jeune apprentie ? », m’interrogea-t-il, en me désignant d’un oeil Leslie et Eloise, qui discutaient entre elles, deux chaises plus loin.

« Si seulement était-ce là tout ce que je désirais… », pensai-je instantanément. J’observai nos deux amis, puis me remémorai l’échange que nous avions eu, lui et moi, plus tôt dans la journée.

– « Vous avez raison, finis-je par admettre, votre jeune apprentie doit se rendre à la salle des professeurs pour questionner l’un d’eux au sujet d’un travail qu’il lui faut réaliser. Voudriez-vous l’y accompagner, en digne gentleman que vous êtes, et profiter de ces quelques moments privilégiés pour parfaire son instruction ? »

– « En voilà une brillante idée ! », s’exclama-t-il, émoustillé.

Nous nous levâmes et nous dirigeâmes vers la salle des professeurs, en veillant à éviter toute forme de raccourci. Rémi était intelligent. Il ne faisait nulle doute qu’il avait compris, dès l’instant où j’avais prononcé cette excuse, qu’elle était bidon. Mais il ne l’avait pas contestée. Et il ne le ferait pas. Tous deux nous étions servis de ce prétexte pour s’accorder un peu plus d’intimité.

Nous nous engouffrâmes finalement dans un petit corridor, formé par le mur de la salle d’étude, pour celui de droite, et par celui du bureau de l’éducateur en charge des étudiants de quatrième secondaire, pour celui de gauche. Je m’adossai à ce dernier. Rémi, quant à lui, se contenta d’y prendre appui, son bras à quelques centimètres à peine de mon visage. Sans doute n’y avait-il pas prêté attention, car il resta impassible, tandis que je peinais à réfréner mes ardeurs.

Je m’interrogeai également sur la raison qui nous avait poussés, presqu’instinctivement, à choisir cet endroit, à l’abri des regards indiscrets. Notre petit délire n’avait pourtant rien de secret. Et même si le petit jeu auquel nous nous étions prêtés plus tôt avait de quoi susciter quelque questionnement, ce n’était pas comme si nous avions quoique ce soit à cacher.

Rémi me fixa, l’air guilleret :

– « Alors, jeune apprentie… Êtes-vous prête pour la suite de votre leçon ? »

J’opinai du chef. Il reprit alors ce même air guindé qu’il avait adopté plus tôt et poursuivit son récit :

– « Je disais donc, avant qu’une certaine personne ne me contraigne à suspendre mon histoire…, fit-il en appuyant sur moi un regard inquisiteur, qui m’incita à chercher vainement du mien un autre coupable potentiel, … que les Tokaytokays étaient pourchassés sans relâche par d’innombrables carnivores et omnivores. A force de courses-poursuites et de mises à mort, bientôt, les dépouilles des Tokaytokays finirent par former une montagne. Imagine-toi, jeune apprentie, la masse de Tokaytokays que cela pouvait représenter… Et pourtant, il ne fallut à leurs bourreaux qu’à peine un jour et une nuit pour n’en laisser que des os. Le lendemain de ce funeste festin, tous pensaient la race des Tokaytokays éteinte. C’était sans compter, cependant, sur un petit Tokaytokay qui, en dépit de tous les efforts fournis par les prédateurs de sa race, état parvenu à résister à leurs multiples assauts. Bien qu’encore oisillon, ce Tokaytokay était particulièrement intelligent. Il parvint ainsi à survivre dans cet environnement qui lui était devenu hostile, et atteignit finalement sa taille adulte. Il devint tellement grand que plus aucun être vivant n’osa ne serait-ce que lui manquer de respect. Et il devint tellement fort, aussi bien physiquement que mentalement, qu’il put, ainsi que ta version l’indique, déplacer à sa guise l’ile qui avait vu périr ses ancêtres et sur laquelle il faisait désormais bon vivre. Malheureusement, vint un jour où un singe malavisé – il n’était pas très malin – lui relata les évènements qui avaient conduit à la disparition du peuple dont il était issu et dont il n’avait rien su. Le dernier Tokaytokay entra alors dans une colère noire et dévasta la planète tout entière. C’est ainsi, d’ailleurs, que les dinosaures disparurent. Non, mais franchement : qui a un jour gobé l’histoire de la météorite ? Bref. Toute vie sur Terre allait donc devoir recommencer… »

– « Mais sérieux, où est-ce que tu vas chercher tout ça ? », lui demandais-je, fascinée, davantage pour la forme que dans le but d’obtenir une véritable réponse.

– « Manifestement, tu sembles réellement chercher mes foudres aujourd’hui, jeune apprentie ! Non seulement tu te permets à nouveau de me couper la parole, mais en plus tu me tutoies. Le respect est mort. »

Je fis mine de me prosterner, à l’aide de mes bras, pour implorer son pardon, qu’il m’accorda gracieusement, en bon prince qu’il était. Non sans laisser échapper quelques gloussements, Rémi continua :

– « Des centaines d’années après la catastrophe provoquée par le dernier Tokaytokay, la vie fut insufflée à l’Homme. Curieux comme pas deux, celui-ci finit par relever des traces de l’existence dudit Tokaytokay, qu’il se mit alors en quête de retrouver. Lorsque ce fut chose faite, l’oiseau était à l’agonie. En effet, le chagrin qu’il avait ressenti et le temps qui s’était écoulé avaient deux tous considérablement entamé ses forces. Sur son lit de mort, il conta son histoire à mon ancêtre « moi », dans l’espoir que plus jamais celle-ci ne se répète. Il expira finalement son dernier souffle, le nom de son espèce au bout du bec « Tokaytokay », et mon ancêtre de lui répéter le même mot, en signe d’approbation, pour qu’il puisse enfin trouver la paix : « Tokaytokay ». En hommage à cet animal, aujourd’hui éteint, les jeunes emploient encore cette expression, « tokaytokay », à la différence près qu’elle a été abrégée, pour une question d’ordre purement pratique, donnant alors à lire « okayokay » ou encore « okok ». Maintenant que tu n’es plus sans ignorer les aventures et mésaventures des Tokaytokays, jeune apprentie, je ne peux que t’exhorter à tenter de percer le mystère qui plane encore sur les messages que je t’ai fait parvenir pas plus tard que… ce matin ! », conclut-il, satisfait.

Encore sidérée par son imagination débordante, je réfléchis quelques minutes au sens de ses propos. Quand je crus enfin comprendre, je le dévisageai, blasée :

– « Le SMS crypté que tu m’as envoyé ce matin… Ne me dis pas que je me suis torturée les méninges pendant 2h et que tu m’as conté toute cette histoire, juste pour t’entendre me dire que t’étais d’accord de m’aider en math ?! »

Rémi révéla instantanément ses vingt-huit dents blanches parfaitement alignées, en signe d’assentiment. Plus encore, il me demanda, de façon totalement éhontée, ce que valait, à mes yeux, l’approbation qu’il venait de me donner. Contrariée de m’être si facilement fait berner, je lui fis signe de se pencher vers moi – l’inverse ayant été compliqué, du fait de ma petite taille. Je pris sur moi et, d’une voix qui se voulait calme, mais qui trahit mon irritation, je lui susurrai à l’oreille ce petit mot : « Dégage. »

Sans avoir le temps de comprendre ce qui s’était tramé dans l’ombre, Rémi sursauté et laissa échapper un léger couinement lorsqu’il sentit un violent coup de poing s’abattre sur son bras. Une rafale de petits poings s’abattit ensuite sur lui : d’abord sur ses membres supérieurs, ensuite sur son torse.

Rémi explosa littéralement de rire et eut toutes les peines du monde à reprendre son souffle. Malheureusement pour moi, qui tentais tant bien que mal de garder mon sérieux, son rire était contagieux. Finalement, il m’attrapa les poignets. Je lui sommai de les lâcher, mais il n’en fit rien. A la place, sans qu’il n’eut vraiment l’air de s’en rendre compte, il desserra sa prise et fit glisser l’une de ses mains jusqu’à l’une des miennes, qu’il finit par entrelacer.

Je fixais sa main gauche qui enserrait la mienne, quand, de l’autre, il releva mon menton et me sonda, la même lueur dans le regard que celle que j’avais aperçue un peu plus tôt dans la journée :

– « Tu m’en veux ? »

– « Oui ! », répondis-je, catégorique, bien qu’en vérité, je n’en pensais pas moins.

– « Vraiment ? », insista-t-il, en jouant avec mes doigts.

– « Oui… », formulai-je, fébrilement cette fois.

Soudain, Rémi lâcha la prise qu’il avait sur moi et se recula d’un pas.

– « Il semblerait que nous devions poursuivre cette discussion ultérieurement. Le gong a sonné : ton maitre n’a d’autre choix que de prendre congé de toi. »

Déstabilisée, je portai le regard vers l’horloge murale, qui indiquait 15h30. Effectivement, il était l’heure pour nous de reprendre les cours. J’avais été tellement absorbée que je n’avais pas entendu la cloche sonner. M’aurait-il embrassée si celle-ci n’avait pas retenti ?


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